Régine est morte

La Reine de la nuit, idole des fêtes les plus mémorables de la jet-set avec ses clubs, chanteuse des P'tits papiers et de Je survivrai, est morte à l'âge de 92 ans ce dimanche 1er mai 2022.



Les nuits n'auront jamais été plus noires, sortez les paquets de papier buvard : Régine s'est éteinte.

Âgée de 92 ans, la Reine de la nuit, personnalité flamboyante de jour aussi, nous a quittés tout juste deux ans après le décès de son frère cadet, Maurice Bidermann. Les habits de lumière, les bijoux et le boa resteront au placard, mais les hommages des orphelins de cette grande dame de coeur ne manqueront pas de pleuvoir.



On ne su certes jamais qui fut Zoa, mais Régine, elle, on l'a bien connue. Et pour cause : patronne de clubs d'anthologie, chanteuse, amie des stars et star entourée d'amis, femme d'affaires, actrice, candidate de télé réalité, la native d'Anderlecht, Parisienne et Tropézienne d'adoption et marraine de la jet-set mondiale fut incontournable pendant plus de six décennies, depuis l'ouverture en 1956 de sa toute première boîte de nuit, Chez Régine, au coeur du quartier bouillonnant de Saint-Germain-des-Prés. Ils sont peu, ceux qui se sont fait un prénom sans avoir besoin de nom, et déjà le sien - celui d'une reine-née : "regina", en latin - est alors en haut de l'affiche - pour paraphraser un tube de Charles Aznavour, lequel lui écrira quelques années après la malicieuse chanson Nounours (1965).

Née le 26 décembre 1929 à Anderlecht en Belgique de parents juifs polonais revenus d'Argentine, Régine Zylberberg fait connaissance avec Paris à l'âge de 3 ans, mais, après que leur mère est repartie en Amérique latine, différentes pensions rythment son enfance et celle de son frère Maurice. Durant la Seconde Guerre mondiale, c'est dans le Sud, où elle reviendra plus tard (les années nîmoises...), que son don pour le chant et la fête se révèlent tandis que son père, joueur invétéré, écume des nuits entières le casino d'Aix-en-Provence. Puis, la guerre ayant pris fin, il lui confie la gestion du café qu'il ouvre à Paris et elle s'éprend tout particulièrement des sons et des danses du moment, tout droit venus d'outre-Atlantique. Sa fréquentation de la Côte d'Azur, où elle officie un temps comme vendeuse, de ses stars en goguette et de ses boîtes où il fait bon être vu, au début des années 1950, achèvera de dessiner son profil de reine de la fête : en 1956 naît rue du Four à Paris Chez Régine, premier des nombreux clubs très prisés que celle qu'on surnomme d'emblée "La Reine de la nuit" dirigera à travers le monde (de Nîmes, et ses fêtes démesurées au Cheval Blanc Régine's Hôtel scénographié par Starck et Wimotte, à... New York, Miami, Rio de Janeiro, Istanbul, Kuala Lumpur...), les époques et les modes. Jusqu'au mitan des années 2000, où, à 70 ans passés, l'icône des nuits de la jet-set cesse ses activités. Ce qui ne l'empêchera pas, en 2009, de savourer une sorte de jubilé dans son club de la rue de Ponthieu, à deux pas des Champs-Elysées, pour la sortie d'un parfum et la promotion d'un album de duos savoureux, Regine's Duets.

Car, pas plus que l'esprit de la fête, l'amour du chant né dans l'enfance et consacré en 1967 par l'Académie Charles-Cros ne l'a jamais quittée, la menant sur les scènes les plus prestigieuses, de l'Olympia au Carnegie Hall, jusqu'à une ultime tournée en 2016, et les invités de cette soirée-là pourraient sans doute en témoigner encore aujourd'hui. Pour ses Duets, 54 ans après le Nounours d'Aznavour, le Oublie-moi d'Henri Salvador et Les P'tits papiers de Gainsbourg, Régine offrait notamment un doux chiffonnage de voix froissées avec Jane Birkin pour reprendre Les P'tits Papiers de Serge, un sommet de polissonnerie suave avec Edouard Baer (Ouvre la bouche, ferme les yeux), des bijoux de gouaille et de soufre avec Bernard Lavilliers (L'Emmerdeuse) et Arthur H (Capone et sa p'tite Phyllis), des caviars de fête avec Didier Wampas (La Grande Zoa) et Cali (J'viens danser), et, incontournable, un I Will Survive revisité avec Julia Migenes.


"On peut rêver, rêvasser à c'qu'on aurait voulu être", chantait Régine dans Gueule de nuit, écrite par Barbara. Elle, elle aura été beaucoup. Y compris actrice, entre Jean-Louis Trintignant et Romy Schneider dans Le Train (1973) de Pierre Granier-Deferre, face aux Ripoux (1984) Philippe Noiret et Thierry Lhermitte pour Claude Zidi... Les plus jeunes ont même pu la découvrir au petit écran en 2005 dans le jeu de télé-réalité La Ferme Célébrités, auquel elle participait au profit de l'association SOS Drogue International, qu'elle avait fondée 20 ans plus tôt. On aurait même pu la connaître en 2006 en tant que comédienne de théâtre, si un malaise cardiaque n'avait pas rendu sa participation à une pièce de Laurent Ruquier impossible.

Régine était mère d'un fils, le grand journaliste émérite Lionel Rotcage, issu de son premier mariage. Emporté en 2006 à l'âge de 58 ans par un cancer du poumon, elle lui avait dédié en 2010 le livre A toi Lionel, mon fils (Flammarion). Elle avait épousé en secondes noces en 1969 Roger Choukroun, avec pour témoin une de ses amies de la première heure, connue comme le loup blanc Chez Régine, Françoise Sagan.

"Cherchez pas de mystère, j'en ai pas.J'ai bon caractère, mais faut pas,Pas pousser grand-mère d'un faux pas, ah", chantait encore Régine d'après les mots de Barbara. Une gouaille toute parisienne, un soleil tout méridional, une énergie de feria et une aura de star planétaire : la Reine est morte, mais tant qu'elle sera aimée, elle survivra. "On peut rêver, rêvasser à c'qu'on aurait voulu être, être, mais c'est foutu, c'est classé. ce n'est pas plus mal peut-être, êtreV'là la fin du jour, gueule d'amour, c'est bientôt la nuit, gueule de nuit. En robe de lumière, j'serai à mon affaire, viens". Et un whisky pour son boa.




Posts les plus consultés de ce blog